11
Juin
08

Corporatismes ?

Un mouvement politique est toujours un mouvement qui brouille la distribution donnée de l’individuel et du collectif et la frontière admise du politique et du social. L’oligarchie et ses savants n’ont pas fini de l’éprouver dans leur entreprise pour fixer la distribution des lieux et des compétences. Mais ce qui fait l’embarras de l’oligarchie fait aussi la difficulté du combat démocratique. […] Ceux qui se battent pour défendre un service public, un système de législation du travail, un régime d’indemnisation du chômage ou un système de retraites seront toujours accusés, même si leur lutte dépasse leurs intérêts particuliers, de mener un combat refermé sur l’espace national et renforçant cet État qu’ils prient d’en préserver la clôture. Inversement, ceux qui affirment que désormais le mouvement démocratique déborde ce cadre et opposent à ces combats défensifs l’affirmation transnationale des multitudes nomades en viennent à militer pour la constitution de ces institutions interétatiques, de ces lieux extraterritoriaux où s’assure l’alliance des oligarchies étatiques et des oligarchies financières.

04
Juin
08

Les oiseaux

Je lève les yeux, les envoie chercher au-dessus des branches, à la rencontre de l’essaim, de la bande, la colonie. ils sont plusieurs centaines, plusieurs milliers à voler dans la plaine à l’aplomb de la rivière dans le couchant. Chaque soir je monte les observer en haut du champ et les retrouve qui virent, vrillent et vertigent, procédant par effondrements successifs quand ils dévient, se détachent et se disloquent avant de se relever et de resserrer les rangs et ça ressemble alors à une tornade, une colonne torse ou hélicoïdale qui s’évaserait vers le ciel, éclatée, avant qu’ils ne fondent à nouveau puis freinent et furètent, indécis, jusqu’à se figer. Inlassablement. Des heures durant la même mobilité. C’est comme de l’eau cet axe noir. Ça pourrait être un essaim de mouches ou bien d’abeilles – de tout ce qui est animé, rien sans doute n’est capable de tels effondrements, et de se reformer ainsi. Comme une feuille de papier tantôt dans l’épaisseur – et invisible alors -, tantôt rectangle blanc couvert de signes noirs.

« Où suis-je ? » me demandais-je à haute voix en tournant sur moi-même les yeux fixés sur l’essaim d’oiseaux qui menaçait à la verticale comme un ciel prêt à s’effondrer – mais il continue de se déployer et de se reformer étroitement noir et cylindré, colonne de vents furieux. Puis je vis la bande se mettre en branle et quitter le ciel qui était au-dessus de la forêt. Alors courir, sillonner des kilomètres, un relief épuisant. Cavalant à travers les bois comme si la vie en dépendait, joyeux mais angoissé par cette jambe, ce mollet métamorphique.

23
Avr
08

La nuit du chasseur

La Nuit du chasseur

de Charles Laughton. États-Unis. 1955. 35mm. 93 mn.

Ohio, 1930. C’est la crise, la famine sévit. Ben Harper a volé pour nourrir sa famille. Avant d’être arrêté et condamné à mort, il confie à son fils John le secret de la cachette du butin qu’il a eu le temps de dissimuler. En prison, Ben partage sa cellule avec Harry Powell… Plus tard, celui-ci – faux prêcheur, tout de noir vêtu – s’introduit dans la famille Harper, bien décidé à récupérer l’argent.

Tout le cinéma en un film. La Nuit du chasseur est l’un des films les plus étranges et les plus beaux du cinéma américain. Le mot qui revient le plus souvent à son propos est  » aérolithe « . En effet, il reste l’œuvre unique de l’acteur Charles Laughton qui, fort du feu vert du producteur Paul Gregory, fit le film à son idée sans tenir compte des canons du récit hollywoodien. Film hors norme, La Nuit du chasseur traverse tous les genres, mais ne se plie à aucun en particulier. En faisant confiance à Stanley Cortez (pour l’aspect visuel du film) et à Robert Mitchum (pour la composition du rôle de Harry Powell), en dirigeant les enfants non comme des petits singes mais comme de vraies personnes, en alternant les styles et les figures, en inventant un temps paradoxal qui est autant celui de la flânerie mythologique que celui du film policier, en se permettant, à travers Lillian Gish, un hommage à Griffith et aux débuts du cinéma, Laughton réussit en un sens le premier film  » cinéphile  » du cinéma, à la fois très cultivé et totalement innocent.

C’est sans doute pourquoi La Nuit du chasseur (qui n’eut à sa sortie qu’un succès d’estime) ne deviendra que progressivement le film phare qu’il est aujourd’hui. Très peu de films, en effet, donnent ce sentiment de se situer à la fois en amont et en aval du cinéma et d’en dominer toute l’évolution.


27
Fév
08

Freud, l’enfance, le sexe

    A la question soulevée notamment par Rousseau : « Qu’est-ce que l’enfance ? » Freud répond que l’enfance est la scène de la constitution du sujet dans et par le désir, dans et par l’exercice du plaisir lié à des représentations d’objets. L’enfance fixe le cadre sexuel à l’intérieur duquel notre pensée, désormais, doit se tenir, si sublimées qu’en soit les opérations.

    Ce qui encore de nos jours fait la dimension subversive de cette thèse n’est pas qu’on lui objecte, bien au contraire, l’animalité de l’enfant et la nécessité de son dressage [thèse classique, celle de Descartes, par exemple]. L’obstacle est, a contrario, l’idée quel ‘enfant est un innocent, un petit ange,le dépôt de toutes nos rêveries faisandées, le petit réceptacle de toute l’eau de rose du monde. C’est ce qu’on voit dans les appels répétés à la délation, à la peine de mort et au lynchage immédiat, dès qu’il est question d’un rapport sexuel avec un enfant. Dans ces appels violents, devant quoi l’autorité publique a bien de la peine à rester impavide, il n’est jamais question, ce qui s’appelle jamais, de ce que Freud a mis en avant avec son courage ordinaire: que l’enfance, au plus loin de toute « innocence », est un age d’or de l’expérimentation sexuelle sous toutes ses formes.

    Bien entendu, la loi doit dire qui est enfant et qui ne l’est pas, à quel age on dispose librement de son corps, et comment on punit ceux qui transgressent ces dispositions légales. […] Cela dit, il est non seulement inutile, mais profondément réactionnaire et nuisible, d’en appeler pour ce faire à des représentations archaïques de l’enfance, au moralisme mensonger d’avant Freud, et d’oublier que de puissantes pulsions, une curiosité sexuelle toujours en éveil, structurent n’importe quelle enfance. […]

    Ajoutons que ceux qui organisent pétitions, délations, sites Internet et lynchages incontrôlés à propos des pédophiles feraient bien d’examiner la structure pathogène, y compris sexuellement, de la famille. L’écrasante majorité des meurtres d’enfant son commis, non par de louches pédophiles célibataires, mais par les parents, et singulièrement par les mères. Et l’écrasante majorité des attouchements sexuels sont incestueux, à l’initiative, cette fois, des pères ou beaux-opères. Mais sur tout cela, motus et bouche cousue. Mères meurtrières et pères incestueux, infiniment plus répandus que les assassins pédophiles, ne figurent que malaisément dans le tableau idyllique des familles où l’on veut placer le rapport délicieux de parents citoyens et de leurs angéliques petits.

    Freud, lui n’a accepté aucune entrave, qu’elles qu’aient pu être ses propres réticences bourgeoises. Il a expliqué la pensée humaine à partir de la sexualité infantile, et nous a donné tous les moyens de comprendre ce qu’il y a de factice, de névrosé, de désespérant, dans l’univers familial.

22
Jan
08

Remontant spécial

Il reste du foie de veau ?

Foutez-moi la paix avec votre foie de veau, si vous continuez à bouffer comme ça, vous allez éclater, oui littéralement, é-cla-ter, elle est folle, vous voyez, me regardant fixement, quand on est gentille avec elle, elle finit par vous mordre, il faut arreter de bouffer comme ça ma vieille, je sais ce que vous allez me dire là Gertrude, hein ? que les obèses vont finir par gagner leurs procès contre les compagnies aériennes, c’est ça, oui, vous etes d’un répétitif, que c’est discriminatoire de faire payer deux places pour une seule personne, je connais le scénario, vous m’emmerdez avec le Discriminatoire, je vais vous soigner moi, elle s’avance toujours tesson à la main.

Dessert ?

Deessseeert, je hurle pour changer de sujet, j’ai fourré discrètement un remontant spécial dans le gateau au chocolat, je me suis glissée en accéléré dans la cuisine, et hop voilà le caniche blanc taillé genre boule de buis dans un jardin de curé qui se met à sauter plus haut que la table pour attraper des morceaux de viande, ça saute, image par image, tac-tac, couleurs irradiées, autochromes de fruits sur nappe blanche, prunes bleuies, nature morte au ralenti, chien-chien, remontant spécial, moteur.

Et puis après on a dansé toute l’après-midi.

07
Déc
07

Cadavres

Pendant la journée du 11 décembre, j’étais occupé à lire dans le grand salon. Ned Land et Conseil observaient les eaux lumineuses par les panneaux entr’ouverts. Le Nautilus était immobile. Ses réservoirs remplis, il se tenait à une profondeur de mille mètres, région peu habitée des Océans, dans laquelle les gros poissons faisaient seuls de rares apparitions.
Je lisais en ce moment un livre charmant de Jean Macé, les Serviteurs de l’estomac, et j’en savourais les leçons ingénieuses, lorsque Conseil interrompit ma lecture.
 » Monsieur veut-il venir un instant ? me dit-il d’une voix singulière.
– Qu’y a-t-il donc, Conseil ?
– Que monsieur regarde.  »
Je me levai, j’allai m’accouder devant la vitre, et je regardai.
En pleine lumière électrique, une énorme masse noirâtre, immobile, se tenait suspendue au milieu des eaux. Je l’observai attentivement, cherchant à reconnaître la nature de ce gigantesque cétacé. Mais une pensée traversa subitement mon esprit.
 » Un navire ! m’écriai-je.
– Oui, répondit le Canadien, un bâtiment désemparé qui a coule a pic !  »
Ned Land ne se trompait pas. Nous étions en présence d’un navire, dont les haubans coupés pendaient encore a leurs carènes. Sa coque paraissait être en bon état, et son naufrage datait au plus de quelques heures. Trois tronçons de mâts, rasés à deux pieds au-dessus du pont, indiquaient que ce navire engagé avait dû sacrifier sa mâture. Mais, couché sur le flanc, il s’était rempli, et il donnait encore la bande à bâbord. Triste spectacle que celui de cette carcasse perdue sous les flots, mais plus triste encore la vue de son pont où quelques cadavres, amarrés par des cordes, gisaient encore ! J’en comptai quatre – quatre hommes, dont l’un se tenait debout, au gouvernail – puis une femme, à demi-sortie par la claire-voie de la dunette, et tenant un enfant dans ses bras. Cette femme était jeune. Je pus reconnaître, vivement éclairés par les feux du Nautilus, ses traits que l’eau n’avait pas encore décomposés.
Dans un suprême effort, elle avait élevé au-dessus de sa tête son enfant, pauvre petit être dont les bras enlaçaient le cou de sa mère ! L’attitude des quatre marins me parut effrayante, tordus qu’ils étaient dans des mouvements convulsifs, et faisant un dernier effort pour s’arracher des cordes qui les liaient au navire. Seul, plus calme, la face nette et grave, ses cheveux grisonnants collés à son front, la main crispée à la roue du gouvernail, le timonier semblait encore conduire son trois-mâts naufragé à travers les profondeurs de l’Océan !
Quelle scène ! Nous étions muets, le coeur palpitant, devant ce naufrage pris sur le fait, et, pour ainsi dire, photographié à sa dernière minute ! Et je voyais déjà s’avancer, l’oeil en feu, d’énormes squales, attirés par cet appât de chair humaine !
Cependant le Nautilus, évoluant, tourna autour du navire submergé, et, un instant, je pus lire sur son tableau d’arrière :
Florida, Sunderland.
VANIKORO
Ce terrible spectacle inaugurait la série des catastrophes maritimes, que le Nautilus devait renconter sur sa route. Depuis qu’il suivait des mers plus fréquentées, nous apercevions souvent des coques naufragées qui achevaient de pourrir entre deux eaux, et, plus profondément, des canons, des boulets, des ancres, des chaînes, et mille autres objets de fer, que la rouille dévorait.

01
Déc
07

J’y étais

Or si l’on prend le temps d’observer ce qui s’éprouve réellement à Las Vegas en termes d’actes et de faits, force est de constater que cette expérience est surtout exceptionnelle par sa brièveté : elle se réduit à l’instant quasi irréel de l’émotion immédiate. Une expérience brutale, sauvage et instantanée, sans experientia ni experimentum, où ce qui est à proprement parler empirique disparaît tout de go sous une forme chimérique : res ficta.

Une expérience confinée au choc de l’impression soudaine qui n’a plus le temps de se décanter lentement dans le sentiment ou l’idée, de ses laisser éprouver, de se prolonger en souvenir frais, mais qui disparaît aussitôt qu’elle est apparue, comme un éclair sensoriel aussi intense qu’oublié, comme un stimulus sans réponse, où l’absence de réaction n’est tributaire que d’une nouvelle décharge.

Dans ce laboratoire vivant du jeu et de l’entertainment, le spectacle sous son ancienne forme du show est désormais entièrement révolu, il appartient à l’ère anachronique de la séparation et de la distance. Naît une période nouvelle, celle de l’interaction fusionnelle et virtuelle, des expériences directes in medias res qui vont nous laisser une marque violente mais fugace, un impact traumatique dans la peau, une blessure de plaisir qui nous fera dire : j’y étais.

29
Nov
07

Chaque centimètre de cheveu est un pas sur la lune

Ni musicien, ni artiste, ce genre de choses. Beaucoup mieux que ça, beaucoup plus singulier, précieux, historique, populaire : un corps. Pour qui l’admirait Mick fut d’abord une surface parcourue de vibrations électriques, et sur quoi pendant dix ans vint se poser l’humeur de l’époque, ses fantaisies faites couleurs, ses audaces faites cuirs, sa désinvolture faite cheveux, ses ambiguïtés faites maquillage. S’il eut mille visages, porta mille capes, brilla de mille feux différents, c’est que le temps fut une cabine d’essayage géante. Décennie la plus transformiste du siècle, y compris en incluant les trois suivantes. Notre temps est certes quantativement plus mobile et multiple, mais pendant les années soixante chaque modulation du corps apparent est une conquête, se gagne de haute lutte, parachève une avancée consistante. Nos villes postmodernes sont des mutantes permanentes et autrement bigarrées que celles du vivant de Mick, mais peu de leurs vibrations engagent ceux qu’elles traversent. Les tendances successives ou simultanées ne sont ambassadrice que d’elles-mêmes. Des fins en soi. La fantaisie est générale, rigolote, libératrice, tourne à vide. Repus de cette licence tout nous glisse dessus, entre par une oreille et sort par une autre. En 60 et suivantes, chaque centimètre de cheveu en plus est un pas sur la Lune.

29
Nov
07

Définir le « fun » ?

Avec un sentiment dépourvu de toute honte, le fun ce mot quasi indéfinissable, associe exagération hystérique et mollesse affective. Telle couleur d’un capot de voiture est fun, telle mimique du robot clown du Circus Circus est fun, telle blague du croupier du Stardust est fun. Mais il est très difficile d’expliquer en soi ce qu’est le fun. Par fun, l’américain entend peut-etre une sorte de sensation bizarre mais relativement commune où alternent une exaltation soudaine et une passivité qui ne porte pas à conséquence. Ce n’est pas en tout cas le simple amusement, passager et léger, car le fun exige en vérité un investissement total de la personne qui, pourtant, ne lui laisse aucun souvenir.

21
Nov
07

Une sorte de zigzag

Les grands philosophes sont aussi de grands stylistes. Le style en philosophie, c’est le mouvement du concept. Bien sûr, celui-ci n’existe pas hors des phrases, mais les phrases n’ont pas d’autre objet que de lui donner vie, une vie indépendante. Le style, c’est une mise en variation de la langue, une modulation, et une tension de tout le langage vers un dehors. En philosophie, c’est comme dans un roman : on doit se demander « qu’est-ce qui va arriver ? », « qu’est-ce qui s’est passé ? ». Seulement, les personnages sont des concepts, et les milieux, les paysages sont des espaces-temps. On écrit toujours pour donner de la vie, pour libérer la vie là où elle est emprisonnée, pour tracer des lignes de fuite. Pour cela, il faut que le langage ne soit pas un système homogène, mais un déséquilibre, toujours hétérogène : le style y creuse des différences de potentiels entre lesquelles quelque chose peut passer, se passer, un éclair surgir qui va sortir du langage même, et nous faire voir et penser ce qui restait dans l’ombre autour des mots, ces entités dont on soupçonnait à peine l’existence. Deux choses s’opposent au style : une langue homogène, ou au contraire quand l’hétérogénéité est si grande qu’elle devient indifférence, gratuité, et que rien de précis ne passe entre les pôles. Entre une principale et une subordonnée, il doit y avoir une tension, une sorte de zigzag, même et surtout quand la phrase a l’air toute droite. Il y a un style lorsque les mots produisent un éclair qui va des uns aux autres, même très éloignés.

19
Nov
07

Cicatrices

Tout reprendre à zéro. From the very beginning. Non pas faire table rase mais revenir aux fondamentaux. Dix ans qu’il a les cheveux noir corbeau alors que ça ne trompe personne – ne serait-ce qu’un jour de plus ce serait un jour de trop, désormais, Les années 80 il les a passées en costard, sur des pochettes de disques à vous donner la gerbe, un noeud pap’ et un smoking comme Sinatra ou Paul Anka – c’est-à-dire abonnés aux galas donnés sur des paquebots, croisières et toute la foire, des chanteurs qui sont comme des micros de promotions dans les supermarchés, ou des crooners pour Las Vegas, obligés de chanter trois chansons en costume de cow-boy – c’est dans le contrat. La mafia et la chirurgie esthétique en moins, comme si les deux étaient liées, on n’aurait pas l’une sans l’autre. Je ne lui dirai pas « se redéguiser en cow-boy » mais « revenir aux fondamentaux ». Redescendre dans la soute à charbon – « Arrête les cheveux teints je vais lui dire, ces reflets corbeau à plus de soixante ans… On revient aux bagarres, aux femmes qui pleurent et qu’on laisse pleurer. A ton visage couvert de cicatrices profondes comme une ride de ride. Va chercher la poussière qu’est dedans, Johnny – parce que t’as quel âge ? Soixante, soixante-cinq ans ? T’es né en 1932 ? ça fait soixante-trois ans. Premier disque en 55 ? Tu dis « six mois après celui d’Elvis » ? J’m’en fous, je ne te poserai pas de questions sur Elvis. 1995-1955 = 40 ans de musique… »

11
Nov
07

La loi de l’expérience

Pour tous les promoteurs de jeux et d’attractions de Las Vegas, il s’agit donc à présent de suivre une unique loi: proposer aux visiteurs de suivre une unique loi : proposer aux visiteurs et aux touristes des expériences. Il ne convient plus simplement d’assister à un spectacle, voire d’y participer, mais d’en faire l’expérience, de devenir soi-même in toto le spectacle, metteur en scène de son propre divertissement. Du moindre repas dans un restaurant à thème à une plongée dans un sous-marin atomique, en passant par la possibilité de jouer, pour un soir et pour cent dollars, un bout de rôle dans sa série télévisée favorite (en l’occurrence Star Trek, au dernier étage de la Stratosphere Tower) tout n’est qu’experiment, tout doit être prétexte à un événement inoubliable. Considérant sans doute l’âme des clients comme une tabula rasa, laes créateurs de Las Vegas ont décidé de la soumettre à une guerre totale faite d’impressions violentes et de surprises sans limite. Toutefois la Blitzkrieg du spectacle doit toujours rester fun.

11
Nov
07

Xénia est nue

Xénia est complètement nue. Les invités sont désormais dos à la mer alors que continue le feu d’artifice, sans plus de spectateurs. Xénia montée sur la table basse, presque seule au milieu du salon. Xénia complètement nue, son corps de femme qui a quarante ans, ou quarante-cinq, mère de deux enfants, elle a un petit ventre, sur laquelle des hommes passent tous les soirs, certains sont brutaux, d’autres sont timides, les bras maigres, les aréoles noires, et le téton mâchonné par des mâchoires sans dents il y a sept ou huit années, des gencives suçant la vie qui était en elle en abondance, tourne lentement comme une danseuse mécanique émerveillée de tourner, regarde ses pieds ou ce qu’elle peut voir comme cela de son corps, ses fesses belles qui tombent un peu où je voudrais m’enfoncer, les cheveux noirs de Xénia sa timidité et le silence de tout le monde alors qu’ils en ont soupé disent-ils, de ces corps nus, et ne serait-ce que ce soir d’ailleurs ? N’est-ce pas ? Xénia non plus ne sait pas pourquoi, ce qu’elle fout nue dans une soirée comme celle-ci elle qui est pute dans la vraie vie, pourquoi elle a voulu qu’on la voie nue, qui ne fait rien que tourner lentement sur elle-même les bras qui montent au ciel, et ils ne savent pas non plus pourquoi regarder alors qu’il ne se passe rien mais ils regardent, les yeux réveillés, agrandis, son corps magnifique, plus nu que tous les corps nus c’est l’impression sinon le désir ne circulerait pas comme ça, palpable, agaçant, et les bouteilles partout, les feuilles de menthe que chacun mâche comme la coca des Andes.

11
Nov
07

Qu’est-ce qu’un chanteur de rock ?

Qu’est-ce qu’un chanteur – de rock ? Qu’est-ce qu’un chanteur de rock ? Qu’est-ce qu’un type qui seulement chante, que n’occupent ni guitare, ni basse, ni biniou ? C’est le premier récepteur de la musique jouée par son band. Avant même le public il est là qui la reçoit en première ligne, aux avant-postes, et aussitôt la rend, la passe au travers lui et la recrache. L’émet aussitôt que reçue, la reçoit aussitôt qu’émise, karaoké instantané. L’émet puis elle lui revient médiée par la foule. Tout cela sur scène, quand vient le soir. La scène est l’épicentre de la grande interactivité démocratique dont Mick est pendant dix ans le maître de cérémonie.

Un chanteur de rock sans instrument est l’incarnation instantanée de la musique, et donc c’est un danseur, qu’il le veuille ou non, maladroit ou non, un danseur désigné par la baguette magique du son émis derrière par ses amis.

11
Nov
07

Dérive électrique

Petit à petit, la techno-démocratie végasienne du fun a mis au point sa drogue dure mais inoffensive qui, agissant directement sur les nerfs par stimulation électro-visuelle, panse les blessures sociales de manière plus profonde que n’importe quel autre stupéfiant. Les nouveaux parcs d’attraction comme les hôtels-casinos ont modifié la quête de la génération du flower-power d’une extase corporelle qui sort de l’ordinaire, d’une ouverture communautaire à une nouvelle sorte d’expérience holiste, d’un moment unique qui donnerait sens au reste de notre vie, en une dérive électrique qui doit conduire le spectateur à une forme irréversible de choc sensoriel. Las Vegas a traduit les paradis artificiels en éden de l’artifice. Avec force jeux et publicités, elle a fait de la transcendance du banal un commerce, du prodigieux un négoce. Cette force hallucinatoire de Las Vegas est telle que les néo-hippies, qui parodient aujourd’hui la contre-culture des sixties et se donnent rendez-vous chaque été dans le nord du désert du Nevada pour une fête orgiaque, « l’homme en feu », reproduisent sans le savoir, en les détournant, les règles du parc d’attractions et des casinos à thème. Contredire, c’est encore imiter.